Culles perd ses procès... et ses bois !
"Habitants de Culles,
J'ai le chagrin de vous annoncer la perte de votre procès avec M. de Contanson. Toutes les peines et les soins que j'ai eus n'ont pu triompher des
protections que M. de Contanson avait à cette cour.
Cependant tout n'est pas désespéré. Lorsque l'arrêt m'aura été signifié, d'après le conseil de mes avocats nous en rappelleront s'il y a lieu à la cour de
cassation".
C'est en ces termes que le maire de Culles commence la lettre qu'il adresse à ses administrés le 16 février 1894.
Retour sur une affaire qui débute en... 1770 !
Bien que très boisée, Culles-les-roches ne possède quasiment pas de bois communaux dans son patrimoine. Mais cela n'a pas toujours été le
cas. En étudiant les "vieux papiers" de la mairie du village, Jean-Pierre Petitet s'est
intéressé à l’histoire de cette disparition !
Bernard Veaux, en
brillant historien amateur, avait déjà bien dégagé le terrain dans la revue du Syndicat d'Initiative (bulletins 30, 31 et 32) mais n'avait alors pas pu disposer de ces archives intéressantes.
Mais écoutons Jean-Pierre Petitet !
Retour au XVIIIème siècle !

Une
embrouille intervient dans les années 1770, entre la
commune de Culles et les
propriétaires du château et des terres de Sercy à propos d’un litige portant sur
200 arpents de bois (68 hectares quand même…).
La commune exploite depuis plusieurs siècles ce canton de bois
appelé la Sablonnière (on ne sait d’ailleurs pas où ça se trouve
exactement).
Or, en vertu d’un acte lointain du 13 juin 1609, pratiquement un an
avant l’assassinat d’Henri IV, stipulant que les habitants de Culles (ils
étaient une trentaine à l’époque, soi-disant « des laboureurs illettrés » selon
Bourbon, le maire de Culles chargé de l’affaire dans les années 1820) auraient
fait une donation pour une raison, jamais mentionnée, à un dénommé Léonard de
Semur, gouverneur de Mâcon pour le roi et, entre autre, seigneur de Sercy. Et le propriétaire des terres vers 1770 tient à faire valoir ses soit-disant droits sur ce bois.
Depuis 1609, le bois a eu un certain nombre de prétendants et on peut résumer les
acteurs du film dans la liste suivante :
- Léonard de Semur (1609), le premier, mort à la guerre en Italie,
on ne sait pas bien quand
- Jeanne de Semur, la sœur de Léonard qui a tout reçu en héritage, dont le fameux bois (1625)
- Anne de Rochefort, femme de Léonard, l’aurait racheté à la Jeanne ou obtenu simplement par autorité de justice (1629)
- Une dame de La Boullaye, rachète le tout après la mort d’Anne (1671)
Après il y a un grand flou…
Au début de 1771, cent ans après donc… Sercy et le fameux bois sont notés copropriété des ducs de Laval, de Luxembourg et autres grands seigneurs de l’époque.
A la fin de 1771, un certain Antoine Viart, de la famille des Perroy
de la Forestille, rachète le tout aux ducs et paie même un garde (Jean
Le
Chasseur) pour les bois et tout cela toujours avec l’accord tacite
des cullois.
A l’aube de la Révolution, Viart meurt. Il est remplacé au château de Sercy par Claude
Perroy de la Forestille et par la famille de Contenson avec qui il a un lien de
parenté. C’est cette famille de Contenson qui va œuvrer pour mettre à mal les
cullois et leur bois.
Une mention toute particulière pour le sieur Bourbon, maire de Culles dans les années 1820, qui a tout fait pour justifier et défendre les intérêts du village, souvent même en dépit des agissements de ses propres administrés. Il mérite de ne pas être oublié dans la mémoire des cullois. On aurait pu peut être lui attribuer un nom de rue par exemple… ?
Premier procès
Donc en 1771, le sieur Viart réclame ces 68 hectares de bois, à prendre
sur la
Sablonnière. En fait ces bois sont passés de main en main entre les hobereaux du
coin sans qu’il n'y ait eu, malheureusement, jamais de contestation de la part
des gens de Culles. Et ce jusqu’au 11 décembre 1771 date à laquelle le seigneur
de Sercy embrouille les Cullois et leur fait ratifier l’acte de 1609. La «
distraction » de ces 200 arpents en sa faveur est ordonnée par
la maîtrise de Mâcon les 4, 8, 9 et 10 octobre
1773.
Au moment où géomètres, arpenteurs, greffiers et gendarmes mandatés par Viart viennent pour borner les lieux et virer les gens qui pratiquent l’affouage depuis des siècles, les cullois se réveillent et ne sont pas contents. Ils refusent de signer les procès verbaux présentés par les officiels. Ils s’organisent pour monter à Paris et se pourvoient « devant la table de marbre » pour réformer tous les différents procès verbaux anciens et présents qu’ils avaient vraisemblablement trop sous-estimés.
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La table de marbre
C'est une vieille juridiction du moyen âge mais malgré tout toujours très
puissante à l’époque. Elle gère tous les problèmes liés à la politique des bois et forêts. Depuis les droits de propriétés jusqu’à l’entretien et le commerce du
bois.
Un sursis est alors accordé aux cullois par arrêt du 4 juin 1776.
Un certain nombre de décès au château de Sercy vont ralentir
les procédures. Pourtant le 1er décembre 1788, à la veille de la
Révolution, ils reçoivent un nouvel acte de « reprise d’instance », mais sans
plus de poursuite. Ils continuent à exploiter les bois comme si de rien
n’était.
Là, patatras, la Révolution éclate et tout ça passe à la trappe. La table de marbre disparaît avec les vieilles lunes du moyen âge,
les tribunaux s’intéressent à autre chose qu’aux bois de Culles et
les Contenson ont, de leur côté également, d’autres chats à fouetter en
particulier avec les habitants de Sercy…
Deuxième procès
Mais voilà, 30 ans plus tard, en 1818, la Révolution est terminée, Napoléon est définitivement sur la touche et les ci-devants reviennent en force avec la Restauration de Louis XVIII ; les seigneurs de Sercy, représentés par la dernière héritière des Contenson, aussi, et assignent à nouveau Culles devant la cour de Dijon, redevenue royale,
pour revalider la décision de 1773. Et, comme l’instance n’a pas été
suivie d’effet, ils forment « une demande de péremption », c'est-à-dire le
droit de recommencer la chicane, le 31 janvier 1824.
Culles prétend alors que la demande est sans objet car, ayant
possédé et exploité sans interruption la totalité de la Sablonnière depuis 1773,
la sentence de la maîtrise ne pouvait plus être exécutée car, vieille de
plus de trente ans, la prescription avait tout effacé.
Cependant, on est entre gens du même monde et la cour royale par arrêt du 23 décembre 1824, un an après quand même, déclare l’instance périmée. Toutefois, dans les motifs de l’arrêt, il est noté que la sentence ne devrait en rien nuire aux gens de Culles (sympa !).
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Condamnation définitive
Le 28 avril 1827, les seigneurs de Sercy, en la personne de Guy de Contenson et de sa
femme Jacqueline de La Forestille, persistent et assignent les gens de Culles
devant le tribunal de Chalon pour procéder à la récupération des 200 arpents
conformément à la sentence de 1773.
Avec succès, puisque le 22 juillet 1830, en audience solennelle, la cour royale de
Dijon réforme le jugement et déboute les cullois de toute prétention
concernant la sentence prescrite en 1773.
Les seigneurs peuvent se pourvoir en cassation en mars 1831 en invoquant ce coup là un vice de procédure sur l’incompétence des chambres qui ont jugé en 1776. Ils vont réussir… Et l'on reviendra à la sentence
de 1773 actant la perte définitive des bois de la Sablonnière (jugement
du 13 mars 1833).
Courrier du maire annonçant aux cullois la condamnation et évoquant une possibilité de recours devant la
cour de cassation (texte en bas de page)
En conclusion les Contenson gagnent sur une astuce de procédure et
un bon lobbying des différentes cours royales.
La perte du procès de la commune de Culles contre la famille de Contenson a eu un effet secondaire de taille : l’abandon définitif d’une
idée de fusion entre les deux communes de Culles et Saules. En effet il
y avait à l’époque un projet de mariage entre elles. Elles étaient déjà
liées pour les affaires religieuses mais pas pour le temporel. Tout cela a
capoté car Saules, à juste titre, n’a pas voulu participer à l’amende infligée
aux cullois. Cette amende est sévère et atteint l’équivalent d’environ 400
000 € (78 000 F de l’époque) soit presque deux fois notre budget
annuel actuel. Donc il faudra encore vendre des bois, à des particuliers, cette
fois.
Vint se greffer la dessus la nécessité de construire l’école du village, sans un rond
bien sûr… Donc on vendra encore ce qui reste des bois : Bois Guillaume, les
Coirattes, la Teppe du Brouchoux plus quelques terrains annexes (voir la note
rédigée par le maire de Saules sur les bois de Saules).
Du coup il n’y a plus de bois communal digne de ce nom sur Culles.
Mais tout ça ne sont que vieux souvenirs. Les Cullois en ont vu
d’autres et la famille de Contenson, qui a donné de célèbres marins au
pays, aussi.
Jean-Pierre Petitet
Une petite idée du territoire concerné d’après les amendes payées aux gagnants du procès
Bois de la dame 5ha / Les Fantiaux 6ha / Theurot du Gay 5ha / Les Gargouillères 5ha / Les Chaumonts 22ha
Le Chailly 8ha / La Teissonnière 2ha
Soit 54 ha environ ; plus les essarts exploités (14ha). En tout : 68ha
Texte de la lettre du maire de Culles à ses administrés (l'orthographe et la ponctuation ont été
respectées).
Culles le 16 février 1894
Habitants de Culles,
J'ai le chagrin de vous annoncer la perte de votre procès avec M. de Contanson. Toutes les peines
et les soins que j'ai eus n'ont pu triompher des protections que M. de Contanson avait à cette cour.
Cependant tout n'est pas désespéré. Lorsque l'arrêt m'aura été signifié, d'après le conseil de mes avocats nous en rappelleront s'il y a lieu à la cour de
cassation.
En conséquence, je vous engage à beaucoup de prudence, et vous défend formellement de vous livrer
à aucun excès dans les bois en litige avec M. de Contanson, parce que en rappelant, si vous aviez le bonheur de gagner ce qui est probable, vous vous
seriez fait du tort à vous même en dévalisant le bois, ensuite M. de Contanson se servirait à son avantage de cette conduite la envers les nouveaux juges
devant lesquels vous seriez envoyer de nouveaux.
Je vous engage à la patience il arrivera peut être un moment où toute justice vous sera rendu, en
attendant je ne négligerai rien pour tacher de vous tirer de ce malheur là.
Si malgré mes représentations et mes ordres, quelqu'un d'entre vous se permettaient de commettre
des délis dans les bois je serai le premier à le poursuivre vivement.
Nous sommes assez malheureux d'avoir à luter contre ce puissant Seigneur fléaux de nos contrées.
Il ne faut pas par notre conduite nous donner des torts envers les juges que nous pourrions avoir dans l'avenir.
Car je vous le répète tout n'est pas terminé si nous avons le bonheur e pouvoir rappeler. On nous renverra plaider dans une autre cour où nous ne pourrons
pas être plus mal traité que dans celle de Besançon M. Contanson n'ayant plus la même influence.
Bourbon
Maire
NB : Le maire Bourbon disparu, il n'y a jamais eu d'appel ni de cassation.