Histoire(s)

La rubrique Histoire(s) continue de s'étoffer au point qu'il faudra bientôt la scinder en plusieurs parties et compléter par un sommaire.

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Le quai des vendanges
 

machines à vendanger

Ce 2 septembre 2015, ce ne sont pas moins de 7 machines qui vendangeaient entre Saules et Culles. A près de 200 000 euros pièce, on a du mal à comprendre la rentabilité d'une telle acquisition pour une exploitation même si parait-il cela divise par deux le coût de vendange à l'hectare. Du moins ce chiffre ressort-il d'une étude de l'Institut français de la vigne et du vin parue en 2007. On y apprend également qu'en 2000, 60% des vendanges étaient déjà mécanisées en France. Il parait même que cela atteint 90% dans le Mâconnais. Pour tout savoir sur les machines et la technique de ramassage consultez cet article en cliquant ici.
Heureusement que le raisin pour le crémant doit se ramasser à la main car sinon on ne verrait plus l'ombre d'un vendangeurs sur nos coteaux !
 
Ce n'était pas le cas "dans le temps" et la vendange nécessitait beaucoup de monde. Mais déjà on essayait de moderniser le système par exemple à Culles avec le "quai des vendanges" devenu aujourd'hui l'emplacement de la cabine téléphonique (pour combien de temps ?) et d'un massif de fleurs à l'angle de la rue des vignes et de la route de la forêt.
quai des vendanges Culles les roches
Sur cette photo prise il y a environ 50 ans, on peut voir le déchargement des tonneaux au quai des vendanges de la Coopérative
(MM. Henri Clément et Marcel Bochot). Sur la photo de droite : Maurice Veaux avec sa remorque et son tracteur Ford Ferguson ;
Joseph Veaux avec son Dodge. L'un et l'autre utilisent des bennes et non des tonneaux.
Comment se passait une vendange à cette époque. Bernard Veaux raconte...
Les vendangeurs coupaient les raisins avec des couteaux ou petites serpettes (peu à peu on est passé aux sécateurs). Les paniers en osier ou en bois (fabriqués par les gens eux-mêmes) étaient vidés dans la hotte du porteur ; cette hotte était la plupart du temps en tôle peinte (avec une peinture spéciale - à l'intérieur - qui ne dégrade pas les raisins).
Parfois, quand l'équipe de vendangeurs n'était pas nombreuse et si le trajet à faire n'était pas très long, le porteur donnait un petit coup de main aux vendangeurs, et pendant ce temps il plaçait la hotte sur un trépied ; il reprenait la hotte quand elle était pleine. Arrivé au char, le porteur grimpait une petite échelle pour dominer un peu les tonneaux (ou les bennes) et verser le contenu de la hotte. Pour éviter que des raisins ne tombent à terre, il y avait une sorte de grand entonnoir en osier ou en planches au dessus du tonneau ou de la benne. Ensuite le porteur tassait légèrement le contenu avec un "pigeou" (pilon de bois) pour qu'il tienne davantage de raisin.

Au quai des vendanges (pour les adhérents de la Coopérative de Buxy, soit environ 50 à 60% des vignerons cullois), les chars arrivaient d'abord sur la bascule : dans la cabane toute proche on vérifiait le poids, et le préposé (cela a surtout été M.Paul Vachet, cantonnier cullois) faisait un petit prélèvement de raisins à divers endroits ; il extrayait du jus qu'il mettait dans un tube... et, dans le tube, il plongeait un mustimètre (appareil mesurant le degré de sucre du moût). C'était un moment de vérité dont dépendrait ensuite le prix payé au producteur ! 11°4, 12°3... oh là là seulement 9°2...
Cela dépendait de la maturité du raisin mais aussi des conditions de la récolte (pluie ou temps sec).

Puis le char avançait en face des bacs correspondant au cépage récolté : aligoté, gamay, pinot...
On vidait tonneaux et bennes , puis le char ou le tracteur et la remorque descendaient le raidillon au bout du quai et s'en retournait à la bascule pour faire la tare. Alors le préposé délivrait un ticket avec le poids de la vendange livrée et le degré.

Il y avait souvent des embouteillages au quai des vendanges parce que les bacs (toujours 6 disponibles) étaient parfois pleins, archipleins... et tout le monde attendait avec impatience que "les bacs" (c'est à dire le camion transportant les bacs) arrive de la Coopérative avec 3 bacs vides. Et les jours de beau temps, les jours où beaucoup de vendangeurs étaient disponibles, la noria des camions ne suffisait pas à satisfaire les besoins... On allait téléphoner à la poste pour savoir si enfin un camion venait à Culles ou si un autre village allait encore passer avant ! Du coup le bruit caractéristique des camions transportant les bacs était guetté dans tout le village et c'était un ouf de soulagement quand il se faisait entendre ...

Le camion se mettait en face des six rails vides et déposait les 3 bacs qu'il transportait, puis il se dépaçait de quelques mètres et faisait la manoeuvre en sens inverse : les bacs pleins étaient poussés sur le camion.

Ceux qui n'adhéraient pas à la Coopérative accueillaient la vendange chez eux (par exemple M. André Mathias, actuelle maison D. Gressard), soit dans des cuves (pour le rouge) soit directement dans le grand pressoir (pour les blancs). Pour ces vignerons, il fallait bien sûr employer du personnel après la journée à la vigne, et c'était tout un va-et-vient autour du pressoir, dans le cuvage, tandis que se faisait entendre le cliquetis du mécanisme de la vis qui servait à presser le raisin.

« Dans l’temps, i parlaint pas c’ment aujeurdeu ! »
 
Avec le décès des derniers anciens qui le parlaient naturellement, plus grand monde n'est capable de tenir une conversation en patois. Petit à petit a disparu un élément important de notre patrimoine. Il y a déjà longtemps que ce phénomène est enclenché et depuis 50 ans, à côté des ses travaux historiques, Bernard Veaux a entamé un travail de conservation en publiant notamment en 1984 un ouvrage de 60 pages publié par le Syndicat d'initiative et  intitulé "Un patois en Bourgogne".
Une cassette réalisée artisanalement en 1990 a pu être numérisée. Ces enregistrements, précieux aujourd'hui, méritent un "nettoyage" complet pour supprimer les bruits de fond et améliorer la qualité grâce aux techniques numériques d'aujourd'hui. Pour commencer, nous vous vous proposons d'écouter déjà deux "histoires de pluie".
 

Le lavoir de la Mouille
 
Culles-les-roches possède plusieurs lavoirs. Route de la Mouille, vous avez peut-être remarqué les travaux qui se font à côté du lavoir. Éliane et Serge Maillé souhaitent refaire de cette friche un verger et on ne peut que se réjouir d'une telle initiative qui mettra en valeur ce joli vallon et le lavoir. On peut d'ailleurs voir dans la rubrique "Avant-Après" les transformations de ce paysage.
C'est l'occasion pour Monique de nous rappeler que ce lavoir fut, pendant de longues années, la "salle de bain" de la Colonie.

Lavoir de la Mouille Culles les roches
Avant l’arrivée de l’eau dans le village, le lavoir de la Mouille comptait beaucoup dans la vie de la colonie de vacances de Culles-les-Roches. C’était le lieu quotidien de la toilette des enfants. Chaque matin se déroulait le même rituel. Dès le lever, vers sept heures, ils descendaient à la Mouille, savonnette dans la main et serviette sur le bras. Et c’est autour du bassin que se faisaient les ablutions, à grand renfort de rires et de cris car bien souvent, la toilette du matin dégénérait. Les garçons s’éclaboussaient malgré les interdictions des moniteurs qui avaient bien du mal à canaliser l’énergie débordante de tous les bambins. Au coup de sifflet, il fallait remonter la pente gaillardement pour être à l’heure au petit déjeuner (Cheftaine en badinait pas avec l’horaire !) Le temps d’étendre les serviettes sur le mur, de bredouiller la prière du matin, et les gamins se retrouvaient autour du chocolat fumant et des tartines de beurre. 

Le lavoir servait aussi pour la lessive de la colonie. C’est Marcelle qui entretenait le linge des enfants et de la maison. Chaque semaine, c’était là aussi le même rituel. La lessive se déroulait sur deux jours. Marcelle triait shorts, chemisettes, chaussettes, torchons… et descendait au lavoir avec sa lessiveuse, sa brosse en chiendent, son battoir et le savon de Marseille. Il fallait d’abord faire un prélavage, à la brosse et au savon. L’eau était très froide et le savon ne moussait pas. Il en fallait de l’énergie pour venir à bout de la crasse d’une semaine ! Marcelle remontait ensuite le linge prélavé pour le laisser tremper avant de le faire bouillir le lendemain, à la colonie. Ce n’était pas facile car le sentier « raidillonnait » fort sur trois cents mètres entre les blocs de granit. Souvent, un des moniteurs venait à son secours pour remonter la lessiveuse. Et le lendemain, après avoir fait bouillir le tout, il fallait redescendre pour le rinçage, puis s’offrir une nouvelle remontée du sentier avec la lessiveuse, allégée de la crasse, mais pourtant toujours aussi lourde. C’était un travail fatiguant mais c’était ainsi. Marcelle ne garde pas un mauvais souvenir de cette époque. Elle était jeune et solide, et puis tout le monde était logé à la même enseigne. Mais quand l’eau courante est arrivée au robinet de la cuisine, elle fut tout de même bien soulagée. Par contre, les enfants sont encore descendus bien longtemps faire leur toilette au lavoir de la Mouille. Il ne fallait pas gaspiller l’eau. Et puis, cet exercice matinal vivifiant était très sain pour ces jeunes qu’il fallait éduquer… un peu à la dure ! 
Monique Desmartes

La Fromagerie / Laiterie de Culles-les-Roches
En bas du village, quand on regarde la route de la forêt qui remonte vers Saint-Gengoux, on remarque une grande maison qui appartient maintenant à M. et Mme Wasley.
Les aînés savent bien qu'il s'agit de l'ancienne Laiterie-Fromagerie de Culles-les-Roches qui fut exploitée jusqu'en 1960 par les parents de Monique Mullot-Platret.
Elle partage ici ses souvenirs familiaux.


C'est en 1936 que Gaston et Hortense Chay arrivent à Culles-les-Roches pour exploiter une fromagerie dans les bâtiments dont M. Girard (de Montchanin) est propriétaire. C'est une nouvelle étape pour Gaston Chay, fromager comme son père Charles, enseignant à l'École Nationale d'Industrie Laitière de Mamirolle (25). Après son mariage avec Hortense Bathereau qu'il a rencontrée lors d'un mariage en 1921 à Fresnes-sur-Apance (Haute-Marne) et épousé l'année suivante, il a exercé son métier successivement à Ligneville (88), Seurre (21), Borey (70), et Vesaignes-sur-Marne (52).

Le couple a quatre enfants : Henriette (ma maman), Clarisse*, Charles et Marcel.
Henriette, pensionnaire à Bar-le-Duc, arrête ses études assez rapidement pour venir aider ses parents à la fabrication du beurre et du fromage. Ma tante Clarisse, scolarisée à Saint-Gengoux, aide également et travaillera à plein temps dès ses 14 ans en 1939.
La fromagerie Chay produit du beurre, du gruyère, du camembert et du Brie . A l'époque, on ne se préoccupe pas des appellations d'origine mais simplement des méthodes de fabrication.

L'année 1941 voit s'enchaîner les décès de Charles, le premier fils âgé de 13 ans emporté en un mois par une encéphalite basse, celui de ma grand-mère Hortense victime d'une péritonite puis la mort de Gaston, tous deux à moins de 50 ans. Henriette (18 ans) et Clarisse (16 ans) restent seules pour s'occuper de la laiterie tandis que leur frère Marcel, âgé de 6 ans, est recueilli à Paris par son oncle et sa tante Bathereau.

Conseil de famille
Mais la majorité est à 21 ans et Henriette doit être émancipée pour pouvoir prendre la responsabilité de l'entreprise. Cette formalité sera accomplie le 13 novembre 1941 par un acte du juge de paix de Saint-Gengoux. 
Faute de famille proche, ce sont des amis des parents décédés qui seront entendus pour témoigner de la capacité d'Henriette à diriger le négoce. Les signataires ont des noms bien connus à Culles-les-Roches comme Michel Charolles, Marius Montillot, Louis Godin.
Un autre signataire de l'acte est Léon Mullot.
Léon Mullot, c'est mon père. 

Quand mon grand-père Gaston est décédé en septembre, Henriette a du trouver d'urgence un fromager pour le remplacer. Avec l'aide de Michel Charolles, elle a fait appel au directeur de l'École Nationale d'Industrie Laitière de Poligny. Il a prévenu un ancien élève que "la laiterie Chay à Ceilles-les-Roches (sic) recherche un fromager pour pâte molle et Port-Salut".
Léon Mullot a accepté la place. L'année suivante il épousait ma mère.
Ensemble ils rachetaient le fonds de commerce à travers une vente en licitation* actée le 21 novembre 1942. Sur les papiers à en-tête et les bordereaux de la fromagerie le nom "Mullot" allait remplacer "Chay". 
 
Avant de fabriquer le fromage, il fallait récolter le lait. Mes parents faisaient chacun une tournée de ramassage dans les fermes avec la Citroën B14 et la Torpédo Renault. Léon rajoute la fabrication du "Port-Salut".
En 1946, ils élargirent leur champ d'activité en demandant une patente de marchand forain pour pouvoir faire des tournées de vente au détail avec une camionnette dans un rayon de 20 km.
Le 17 septembre 1949, le couple acheta les bâtiments à M. Girard dont ils étaient toujours locataires.

Avec le petit-lait récupéré, ils élevaient des porcs dans un appentis de la laiterie puis au Moulin de Châtenay dont ils avaient fait l'acquisition avec le projet d'agrandir la porcherie. Ils sollicitèrent une autorisation préfectorale qui leur fut accordée le 17 août 1956 pour créer un bâtiment qui ne fut jamais construit.
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La boutique à Chalon, le cœur à Culles
Le 31 décembre 1960, la laiterie Mullot cessa son exploitation. Mes parents s'installèrent à Chalon, au Port du Canal, pour exploiter une fromagerie en perdition qu'ils avaient rachetée.
C'était la fin de l'aventure culloise mais nous avons gardé des liens très forts avec le village. 

Dans un premier temps, les bâtiments de la laiterie furent loués à une famille chalonnaise puis à l'école du château de la Rochette avant d'être vendus ; les terrains agricoles conservés et donnés en fermage aux familles Gressard, Gillot (des Filletières) puis Derain. 

Mes parents avaient gardé de solides amitiés à Culles avec les familles Clément, Godin, Beauné, Mathias et Derain. L'occasion de visites régulières. Même après le décès de maman en 1996, et malgré son âge, mon père continuait de venir car il était concerné par la longue opération du remembrement. Chaque année il était invité au repas des anciens. Tant qu'il a pu conduire (jusqu'à 92 ans !) il appréciait de participer au loto et à la fête annuelle organisés par le Syndicat d'initiative et venait avec 7 ou 8 amis de son Club de Chalon ! 

Quant à moi, je suis toujours très attachée à Culles-les-Roches. J'ai gardé le contact avec mes amis (Marie-Thérèse, Mijo, Pierre, Alain et Danielle...). En juillet 2010,  j'ai eu grand plaisir à retrouver l'ancien instituteur, M. Joseph Beauné et les anciens élèves pour la grande fête organisée en son honneur par le Syndicat d'initiative.

Monique Mullot-Platret  (avec Bertrand Brocard) 

Merci à Clarisse Bouillon-Chay et Hélène Charolles pour les précisions qu'elles ont pu apporter en puisant dans leurs souvenirs.

* L'orthographe inhabituelle "Clarice" figure dans plusieurs actes notariés mais n'a jamais été utilisée par Clarisse
** Vente aux enchères à l'amiable qui a permis de liquider la succession en indivision des enfants Mullot : Hortense, Clarisse et Marcel 

 
Fêtes à la colonie de Culles-les-Roches

Pendant plus de 50 ans, et depuis 1923, des petits parisiens sont venus chaque été égayer la vie du village dans le cadre de la colonie de vacances de la Solitude Saint-Charles. C’était une colonie d’inspiration scout dirigée par un abbé surnommé "Père Loup" et assisté de Juliette, une maîtresse femme que tout le monde appelait "Cheftaine". Deux fêtes étaient organisées pendant l’été, l’une au 14 juillet qui se terminait par un feu d’artifice, l’autre, plus grandiose, à la fin août en l’honneur du "Père Loup". 

La fête commençait par la messe en plein air, devant la colonie où un autel avait été dressé. Puis on préparait la grande soirée. Elle se passait à l’Ecole Jeanne d’Arc, derrière la colonie, chez la Gadasse. Il fallait enlever les tables et les bancs toujours là malgré la fermeture de l’école. Il fallait aussi monter une estrade où les enfants se produiraient dans divers chants et saynètes préparés dans le plus grand secret. Tout le village était convié à cette soirée et il y avait souvent tellement de monde que beaucoup se contentaient de regarder le spectacle par les fenêtres. 

Une grande publicité était faite dans le village pour inviter la population : les enfants déguisés passaient dans les rues et la 2CV de la cheftaine circulait dans le village. Un moniteur, debout par la capote ouverte, annonçait la fête à l’aide d’un porte-voix fabriqué avec un pavillon de phonographe. 

Et comme il n’y a pas de fête sans agapes, le repas du soir était servi dehors. Pour l’occasion, des tables étaient installées devant la colonie, de chaque côté du chemin, qui n’était pas goudronné à l’époque. Joël Desmartes se souvient qu’il n’était pas rare de voir les vaches de Mme Peythieu, la fermière voisine, regagner leur étable pour la traite en passant entre les rangées de tables. Et gare aux éclaboussures quand l’une d’elles avait la bonne idée de se soulager juste à ce moment là !
Monique Desmartes
Colonie Solitude saint Charles Culles les roches
                               Documents : Archives Monique Desmartes


Ramuss 

Ramuss - Culles-les-rochesIl s’appelait Raymond mais tout le monde parlait de Ramuss. C’est un surnom qui lui venait de son enfance. A l’école d’avant guerre, la plupart des garçons avaient un surnom qui les suivait souvent tout au long de leur vie. Quand il termina sa carrière de facteur, il vint prendre sa retraite dans sa petite maison de Culles-les-Roches, dans le quartier de la mairie. Mais bien vite, la maladie, sans doute d’Alzheimer, fit son apparition. Ramuss perdit la tête et commença à faire parler de lui. On le voyait traîner partout, toujours vêtu d’un long imperméable gris, vestige de la poste, la barbe hirsute et un bâton de pèlerin à la main. C’était un peu le «Pape des escargots»* de Culles-les-Roches. 

Il était devenu cleptomane et passait son temps à rôder chez les uns et les autres, en quête d’un nouveau trésor à dérober. Attention au linge qu’on mettait à sécher sur le balcon ou dans le jardin ! D’une taie d’oreiller il se faisait un couvre-chef et s’habillait volontiers du pull de la voisine qui devait le rattraper pour récupérer son bien. Il avait aussi une prédilection pour les jardins dans lesquels il cueillait sans remord haricots verts, persil ou fleurs pour les emporter le plus souvent au bar de la Bruyère ou de Saint-Gengoux, histoire d’être remercié par une consommation. 

Dès qu’il pouvait rentrer quelque part, dans une cour, une grange ou un hangar, il se servait : outils, arrosoirs… qu’il déposait ensuite chez d’autres ou bien chez lui. Au début, chacun en riait. Puis, les larcins se multipliant, il fallut bien prendre des précautions, tout mettre sous clé et le surveiller. 

Quand la maladie finit par l’emporter, l’année 2000, il y eut « portes ouvertes » dans sa maison où chacun put tenter de retrouver ce qu’un jour Ramuss leur avait « emprunté »… 
Monique Desmartes

Culles perd ses procès... et ses bois !

"Habitants de Culles, 
J'ai le chagrin de vous annoncer la perte de votre procès avec M. de Contanson. Toutes les peines et les soins que j'ai eus n'ont pu triompher des protections que M. de Contanson avait à cette cour. 
Cependant tout n'est pas désespéré. Lorsque l'arrêt m'aura été signifié, d'après le conseil de mes avocats nous en rappelleront s'il y a lieu à la cour de cassation
". 
C'est en ces termes que le maire de Culles commence la lettre qu'il adresse à ses administrés le 16 février 1894.
Retour sur une affaire qui débute en... 1770 !
Bien que très boisée, Culles-les-roches ne possède quasiment pas de bois communaux dans son patrimoine. Mais cela n'a pas toujours été le cas. En étudiant les "vieux papiers" de la mairie du village, Jean-Pierre Petitet s'est intéressé à l’histoire de cette disparition !
Bernard Veaux, en brillant historien amateur, avait déjà bien dégagé le terrain dans la revue du Syndicat d'Initiative (bulletins 30, 31 et 32) mais n'avait alors pas pu disposer de ces archives intéressantes.
Mais écoutons Jean-Pierre Petitet !

Retour au XVIIIème 
siècle !
carte cassini cullesUne embrouille intervient dans les années 1770, entre la commune de Culles et les propriétaires du château et des terres de Sercy à propos d’un litige portant sur 200 arpents de bois  (68 hectares quand même…).
La commune exploite depuis plusieurs siècles ce canton de bois appelé la Sablonnière (on ne sait d’ailleurs pas où ça se trouve exactement). 
Or, en vertu d’un acte lointain du 13 juin 1609, pratiquement un an avant l’assassinat d’Henri IV, stipulant que les habitants de Culles (ils étaient une trentaine à l’époque, soi-disant « des laboureurs illettrés » selon Bourbon, le maire de Culles chargé de l’affaire dans les années 1820) auraient fait une donation pour une raison, jamais mentionnée, à un dénommé Léonard de Semur, gouverneur de Mâcon pour le roi et, entre autre, seigneur de Sercy. Et le propriétaire des terres vers 1770 tient à faire valoir ses soit-disant droits sur ce bois. 
 
Depuis 1609, le bois a eu un certain nombre de prétendants et on peut résumer les acteurs du film dans la liste suivante :
- Léonard de Semur (1609), le premier, mort à la guerre en Italie, on ne sait pas bien quand
- Jeanne de Semur, la sœur de Léonard qui a tout reçu en héritage, dont le fameux bois (1625) 
- Anne de Rochefort, femme de Léonard, l’aurait racheté à la Jeanne ou obtenu simplement par autorité de justice (1629)
- Une dame de La Boullaye, rachète le tout après la mort d’Anne (1671)
 
Après il y a un grand flou…
Au début de 1771, cent ans après donc… Sercy et le fameux bois sont notés copropriété des ducs de Laval, de Luxembourg et autres grands seigneurs de l’époque.
A la fin de 1771, un certain Antoine Viart, de la famille des Perroy de la Forestille, rachète le tout aux ducs et paie même un garde (Jean Le 
Chasseur) pour les bois et tout cela toujours avec l’accord tacite des cullois.
 
A l’aube de la Révolution, Viart meurt. Il est remplacé au château de Sercy par Claude Perroy de la Forestille et par la famille de Contenson avec qui il a un lien de parenté. C’est cette famille de Contenson qui va œuvrer pour mettre à mal les cullois et leur bois.
 
Une mention toute particulière pour le sieur Bourbon, maire de Culles dans les années 1820, qui a tout fait pour justifier et défendre les intérêts du village, souvent même en dépit des agissements de ses propres administrés. Il mérite de ne pas être oublié dans la mémoire des cullois. On aurait pu peut être lui attribuer un nom de rue par exemple… ?
 
Premier procès
Donc en 1771, le sieur Viart réclame ces 68 hectares de bois, à prendre sur la Sablonnière. En fait ces bois sont passés de main en main entre les hobereaux du coin sans qu’il n'y ait eu, malheureusement, jamais de contestation de la part des gens de Culles. Et ce jusqu’au 11 décembre 1771 date à laquelle le seigneur de Sercy embrouille les Cullois et leur fait ratifier l’acte de 1609. La « distraction » de ces 200 arpents en sa faveur est ordonnée par la maîtrise de Mâcon les 4, 8, 9 et 10 octobre 1773.
Au moment où géomètres, arpenteurs, greffiers et gendarmes mandatés par Viart viennent pour borner les lieux et virer les gens qui pratiquent l’affouage depuis des siècles, les cullois se réveillent et ne sont pas contents. Ils refusent de signer les procès verbaux présentés par les officiels. Ils s’organisent pour monter à Paris et se pourvoient « devant la table de marbre » pour réformer tous les différents procès verbaux anciens et présents qu’ils avaient vraisemblablement trop sous-estimés. 
 
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La table de marbre
C'est une vieille juridiction du moyen âge mais malgré tout toujours 
très puissante à l’époque. Elle gère tous les problèmes liés à la politique des bois et forêts. Depuis les droits de propriétés jusqu’à l’entretien et le  commerce du bois.
Un sursis est alors accordé aux cullois  par arrêt du 4 juin 1776. Un certain nombre de décès au château de Sercy vont ralentir les procédures. Pourtant le 1er décembre 1788, à la veille de la Révolution, ils reçoivent un nouvel acte de « reprise d’instance », mais sans plus de poursuite. Ils continuent à exploiter les bois comme si de rien n’était.
 
Là, patatras, la Révolution éclate et tout ça passe à la trappe. La table de marbre disparaît avec les vieilles lunes du moyen âge, les tribunaux s’intéressent à autre chose qu’aux bois de Culles et les Contenson ont, de leur côté également, d’autres chats à fouetter en particulier avec les habitants de Sercy…
 
Deuxième procès
procès culles les roches
Mais voilà, 30 ans plus tard, en 1818, la Révolution est terminée, Napoléon est définitivement sur la touche et les ci-devants reviennent en force avec la Restauration de Louis XVIII ; les seigneurs de Sercy, représentés par la dernière héritière des Contenson, aussi, et assignent à nouveau Culles devant la cour de Dijon, redevenue royale, pour revalider la décision de 1773. Et, comme l’instance n’a pas été suivie d’effet, ils forment « une demande de péremption », c'est-à-dire le droit de recommencer la chicane, le 31 janvier 1824.
 
Culles prétend alors que la demande est sans objet car, ayant possédé et exploité sans interruption la totalité de la Sablonnière depuis 1773, la sentence de la maîtrise ne pouvait plus être exécutée car, vieille de plus de trente ans, la prescription avait tout effacé.
Cependant, on est entre gens du même monde et la cour royale par arrêt du 23 décembre 1824, un an après quand même, déclare l’instance périmée. Toutefois, dans les motifs de l’arrêt, il est noté que la sentence ne devrait en rien nuire aux gens de Culles (sympa !).                                                                                                                        Cliquer pour agrandir
 
Condamnation définitive
Le 28 avril 1827, les seigneurs de Sercy, en la personne de Guy de Contenson et de sa femme Jacqueline de La Forestille, persistent et assignent les gens de Culles devant le tribunal de Chalon pour procéder à la récupération des 200 arpents conformément à la sentence de 1773. 
Avec succès, puisque le 22 juillet 1830, en audience solennelle, la cour royale de Dijon réforme le jugement et déboute les cullois de toute prétention concernant la sentence prescrite en 1773.
Les seigneurs peuvent se pourvoir en cassation en mars 1831 en invoquant ce coup là un vice de procédure sur l’incompétence des chambres qui ont jugé en 1776. Ils vont réussir… Et l'on reviendra à la sentence de 1773 actant la perte définitive des bois de la Sablonnière (jugement du 13 mars 1833).
Procès Culles les roches
Courrier du maire annonçant aux cullois la condamnation et évoquant une possibilité de recours devant la cour de cassation (texte en bas de page)

En conclusion les Contenson gagnent sur une astuce de procédure et un bon lobbying des différentes cours royales.
La perte du procès de la commune de Culles contre la famille de Contenson a eu un effet secondaire de taille : l’abandon définitif d’une 
idée de fusion entre les deux communes de Culles et Saules. En effet il y avait à l’époque un projet de mariage entre elles. Elles étaient déjà liées pour les affaires religieuses mais pas pour le temporel. Tout cela a capoté car Saules, à juste titre, n’a pas voulu participer à l’amende infligée aux cullois. Cette amende est sévère et atteint l’équivalent d’environ 400 000 € (78 000 F de l’époque) soit presque deux fois notre budget annuel actuel. Donc il faudra encore vendre des bois, à des particuliers, cette fois. 
 
Vint se greffer la dessus la nécessité de construire l’école du village, sans un rond bien sûr… Donc on vendra encore ce qui reste des bois : Bois Guillaume, les Coirattes, la Teppe du Brouchoux plus quelques terrains annexes (voir la note rédigée par le maire de Saules sur les bois de Saules).
 
Du coup il n’y a plus de bois communal digne de ce nom sur Culles. 
Mais tout ça ne sont que vieux souvenirs. Les Cullois en ont vu d’autres et la famille de Contenson, qui a donné de célèbres marins au pays, aussi.
Jean-Pierre Petitet               
Une petite idée du territoire concerné d’après les amendes payées aux gagnants du procès 
Bois de la dame 5ha  / Les Fantiaux 6ha  / Theurot du Gay 5ha  / Les Gargouillères 5ha  / Les Chaumonts 22ha 
Le Chailly 8ha  / La Teissonnière 2ha
Soit 54 ha environ ; plus les essarts exploités (14ha). En tout : 68ha

Texte de la lettre du maire de Culles à ses administrés (l'orthographe et la ponctuation ont été respectées).

Culles le 16 février 1894 

Habitants de Culles, 

J'ai le chagrin de vous annoncer la perte de votre procès avec M. de Contanson. Toutes les peines et les soins que j'ai eus n'ont pu triompher des protections que M. de Contanson avait à cette cour. 
Cependant tout n'est pas désespéré. Lorsque l'arrêt m'aura été signifié, d'après le conseil de mes avocats nous en rappelleront s'il y a lieu à la cour de cassation. 

En conséquence, je vous engage à beaucoup de prudence, et vous défend formellement de vous livrer à aucun excès dans les bois en litige avec M. de Contanson, parce que en rappelant, si vous aviez le bonheur de gagner ce qui est probable, vous vous seriez fait du tort à vous même en dévalisant le bois, ensuite M. de Contanson se servirait à son avantage de cette conduite la envers les nouveaux juges devant lesquels vous seriez envoyer de nouveaux. 

Je vous engage à la patience il arrivera peut être un moment où toute justice vous sera rendu, en attendant je ne négligerai rien pour tacher de vous tirer de ce malheur là. 

Si malgré mes représentations et mes ordres, quelqu'un d'entre vous se permettaient de commettre des délis dans les bois je serai le premier à le poursuivre vivement. 
Nous sommes assez malheureux d'avoir à luter contre ce puissant Seigneur fléaux de nos contrées. 
Il ne faut pas par notre conduite nous donner des torts envers les juges que nous pourrions avoir dans l'avenir. 
Car je vous le répète tout n'est pas terminé si nous avons le bonheur e pouvoir rappeler. On nous renverra plaider dans une autre cour où nous ne pourrons pas être plus mal traité que dans celle de Besançon M. Contanson n'ayant plus la même influence. 

Bourbon
Maire 

NB : Le maire Bourbon disparu, il n'y a jamais eu d'appel ni de cassation.